Laurent

Par: Anonyme

Dans l’auberge, les bardes jouent « Oh! saute-moutons » en tentant de se faire entendre au milieu des bruits de placotage et de pintes qui s’entrechoquent. Ce n’est pas l’auberge la plus respectable d’Alcar, mais j’ai vu bien pire. 

C’est un édifice rectangulaire, en pierre, sur deux étages. Le toit est en poterie, comme la majorité des édifices de la ville. Deux cheminées et un dîner agréable sortent du toit. Un escalier en bois permet d’atteindre les chambres du 2e étage en passant par une petite balustrade qui ceinture l’auberge sur 2 versants. Cet escalier en bois est accessible de la rue, sans devoir passer par l’intérieur de l’édifice. De la ruelle, on peut apercevoir l’escalier, la balustrade et même la porte principale qui se trouve sur le coin de l’édifice. 

 Les compagnies vont et viennent à l’auberge, les transactions se concluent, mais, moi, je reste là, dans la ruelle juste à côté de l’auberge, assis sur une petite pile de déchets, dans mes petits pantalons bruns, dans ma petite chemise noire, avec mes petites bottes. Je suis petit. Pratiquement invisible. 

 J’ai fait ça des dizaines de fois : attendre dans un coin noir, pratiquement invisible, mais aujourd’hui, c’est différent. C’est mon dernier contrat. Après, je prends ma retraite. C’est décidé. 

 [Fade out musique d’auberge]

 Pourtant, j’ai tout. Enfant, je n’aurais pas pu même rêver toucher à ce bonheur. Rien ne m’a été donné. Je n’ai rien gagné. J’ai dû tout aller chercher, pièce par pièce. 

 [ musique bonheur ]

 J’habite dans un bel appartement des quartiers Delrast. C’est un grand appartement au 5e et dernier étage. Il y a des grandes pièces richement décorées avec des draperies et des peintures, des plafonds hauts, une cuisine et une salle de bain avec de l’eau chaude. J’ai même des jardins privés sur le toit et deux domestiques. La grande vie. 

 J’ai gravi les échelons. Aujourd’hui, je n’ai plus à me salir les mains. Du moins, rarement, comme aujourd’hui. Je dirige une division de voleurs, d’escrocs et d’assassins. On fait appel à moi quand la mission semble impossible, quand les clients sont désespérés. Nous sommes le service le plus cher en ville. Réussite et discrétion : c’est notre devise. Personne ne sait qui nous sommes réellement. En façade, nous sommes marchands : nous faisons de l’import et de l’export de produits rares, d’art et d’antiquités. En réalité, nous vendons des babioles à des clients en échange de services plus « spécialisés ». Nous marchons dans la rue, en plein jour, sans crainte de nous faire intercepter. Nous ne sommes pas fichés, aucun service de l’ordre ne nous connaît. Nous sommes l’ombre, la fumée. Nous sommes intangibles. 

 Il y a Linyas. C’est un Halfling, comme moi. Un assassin d’exception et un maître des poisons. Son arme de prédilection est le poignard empoisonné. Il porte généralement sa capuche sur sa tête et ne laisse voir que son air grognon. Il s’habille avec des couleurs foncées, généralement dans les teintes de vert forêt, de brun et de noir. 

 Et que dire d’Aukaria. Une grande Goliath. De beaux grands cheveux noir jet, légèrement ondulés. Des yeux jaunes perçants. Une mâchoire volontaire. Elle a aussi ses marques de Goliath si distinctives dans le visage. Magnifique et meurtrière Aukaria.

 Il y a aussi Arpos. C’est un Halfling, Stout. Il est plus robuste que Linyas et moi. Il est flamboyant et semble toujours joyeux. Il porte une chemise jaune et une belle cape vert émeraude. Il aime avoir ses favoris longs et épais dans sa belle barbe rousse. Malgré ses apparences, Arpos sait se montrer discret. C’est le meilleur voleur que je connaisse. Il peut s’introduire pratiquement n’importe où. En plus, il sait utiliser son arbalète!

 À nous quatre, nous étions une compagnie redoutable!

 Je crois bien que ma vie a commencé à basculer quand j’ai fait la rencontre de Madeleine. 

 C’était un petit matin comme les autres. Je déambulais dans les rues d’Alcar. Une odeur de pain. Du pain aux pommes, je m’en souviens comme si c’était hier. Sucré et acidulé. C’était une boulangerie tout ce qu’il y a de plus ordinaire. J’y suis entré dans le seul but de découvrir d’où venait cette odeur divine. J’ai été happé. 

 Je n’avais jamais vu une plus belle et charismatique créature. Des petites oreilles pointues. De beaux cheveux bruns noués d’un bandeau bleu assorti à sa belle robe, robe qui mettait d’ailleurs en valeur toutes les courbes de son corps. Mais ce qu’il y avait de plus incroyable, c’était ses yeux. Bruns. Profonds. Joyeux. Rieurs. Enjôleurs. Ils étaient mis en valeur par un petit nez fin et retroussé et un sourie coquin. Sans oublier, sa petite fossette, oh oui, sa petite fossette. J’ai craqué. 

 Je suis quand même coquet, j’aime être habillé richement.  C’est une couverture parfaite. Habits de cuirs vert forêt, travaillés. Des bagues et des éléments de dorures sur mes brassards de cuir verts. Tout ce vert met en valeur mes yeux verts et mes cheveux roux; rouge feu, en bataille.

 Je crois que je lui ai fait un petit effet. Elle a échappé ses croissants aux pommes par terre. Tout son lot. Son père, le boulanger s’en allait la gronder quand je suis intervenu. J’ai acheté le lot de croissants et je l’ai invitée à prendre un café. Son père allait refuser, mais nous sommes sortis si rapidement. Elle voulait sortir, s’échapper, changer de vie. 

 Bras dessus, bras dessous, nous avons marché dans les rues d’Alcar toute la journée. Ça n’a semblé durer que 2 minutes. 

 Je suis retourné à la boulangerie tous les jours pendant plusieurs semaines. 

 De fil en aiguille, j’ai même réussi à acquérir le respect du père de Madeleine. Il pense que je suis un marchand respectable… tout le monde le croit. 

 Marcel est, lui aussi, un Halfling marchand. Il travaille dur et se lève tôt pour gagner sa vie et assurer la sécurité de sa famille. Selon Madeleine, il avait combattu toute sa vie les préjugés qui disent que tous les Halflings sont des voleurs. Les banques ne veulent pas prêter à un voleur, la milice est toujours sur le dos des Halfling et les clients tiennent leurs bourses serrées quand ils voient que les boulangers sont des Halfling. Mais Marcel a su surmonter tout ça… à coup de croissants, de brioches et de tartes. Son don de boulanger lui a permis de surpasser les préjugés et de se créer une clientèle fidèle avec les années. Il a toujours inculqué l’honnêteté comme valeur à sa famille. 

 J’aurais voulu tout avouer à Madeleine, lui dire ce que je faisais dans la vie, mais après ces révélations, c’était impossible. Madeleine ne devait pas savoir que j’étais un voleur… pire encore, le leader du meilleur groupe de brigands d’Alcar… et peut-être même de Témister. 

 C’en était trop. J’ai décidé de mettre une croix sur ma vie de brigand. Adieu l’appartement, les beaux vêtements et les domestiques. Madeleine, c’était tout ce que je voulais dans la vie. Je goûtais enfin au bonheur, et il avait un petit goût de pomme et de cannelle. Je ne sais pas ce que je vais faire, mais ce sera honnêtement et avec Madeleine. Peut-être que je pourrais me mettre à la cuisine moi aussi ?

 J’ai donc pris rendez-vous avec le patron. Mon patron. LE patron. Celui qui n’a pas de nom. Celui d’où viennent les contrats. J’étais assis à l’ « Auberge des 100 dragons ». Il change toujours d’auberge. Dans une alcôve privée. Il y avait un drap. Comme d’habitude, j’étais assis devant un drap. Je parlais au drap et je ne voyais pas à qui je parlais. Sa voix ne permettait pas de déterminer son âge ni sa race. Son timbre de voix était même ambigu : ce n’était pas clair si c’était un homme ou une femme. C’était un drap noir. J’ai demandé au patron de me retirer du métier. Il m’a répondu que, d’habitude, il n’y avait que la mort qui permettait de se retirer, mais qu’il comprenait. Il m’a dit qu’il savait pour ma nouvelle flamme, Madeleine, la boulangère, la fille de Marcel. Je dois bien l’avouer, je n’étais pas tellement surpris : c’est son métier de tout savoir. Il m’a proposé de faire une dernière petite chose pour lui. Un dernier contrat pour Le Patron. Pour m’assurer de la santé et de la sécurité de ma nouvelle belle famille, comme il a dit.

 Et c’est comme ça que je me suis retrouvé ici. Assis sur une petite pile de déchets, dans mes petits pantalons bruns, dans ma petite chemise noire, avec mes petites bottes. Je suis petit. Pratiquement invisible. Dans la ruelle près de l’auberge « Oh! saute-moutons ». J’attends sagement ma cible. 

 Linyas et Aukaria sont cachés avec moi, en embuscade dans la ruelle. Arpos, le flamboyant, est dans l’auberge. Le piège se déploie. Comme nous l’avons fait des dizaines et des dizaines de fois. La cible sortira par la porte arrière avec Arpos et le piège se refermera. Pour la dernière fois. C’est mon dernier contrat. 

 J’aperçois une femme marcher dans la ruelle. Elle porte une capuche. Il n’y a pas de lumière, il ne pleut pas, c’est louche. Elle ne fait aucun bruit et marche d’un pas assuré. Plus elle se rapproche, plus je peux voir ses traits. Elle porte un buste violet et des pantalons foncés. Sa peau est noire. Complètement noir ébène et ses cheveux sont d’un blanc argenté comme la lune. C’est une elfe noire. Elle s’arrête. Je sais à cet instant précis que c’est moi qui suis dans le piège et non l’inverse. 

 À ce moment, les choses se passent très vite. Le temps s’accélère. 

 Je vois des dizaines de têtes apparaître sur les toits. Les flèches commencent à pleuvoir sur Linyas, Aukaria et moi. Je tente de m’enfuir. Arpos ouvre alors la porte de l’auberge, il est seul et s’engouffre dans la ruelle en tentant de nous porter secours. Trop peu, trop tard.

 La Drow fait un geste de la main et je sens que je tombe.

 [Effet bruitage de magie]

 Le bas devient le haut et le haut, le bas. Je suis désorienté. C’est la même chose pour mes camarades. Les flèches pleuvent. 

 [Effet bruitage de flèches]

 Nous sommes touchés par plusieurs carreaux. Nous sommes des cibles faciles. 

 Contre tout attente, Aukaria réussit, d’un geste désespéré, à se repousser sur la balustrade et s’élance sur l’elfe noire. Aukaria n’a pas le temps d’atteindre sa cible avec ses dagues en main que la magicienne fait apparaître une boule d’énergie bleutée dans sa main

 [Effet bruitage de magie]

 et la dirige de plein fouet sur Aukaria qui tombe à la renverse, inconsciente. 

 [Effet bruitage de flèches]

 Une autre salve de flèches s’abat sur nous. Nous sommes tous touchés, même Aukaria qui était inconsciente au sol.

 Je tombe inconscient moi aussi. J’entends des bribes d’informations. Un garde dit : « La Goliath est morte ! ». « Et les autres? » demande l’elfe. 

« Non, les 3 Halflings sont seulement inconscients. »

 [Musique des Moulins d’Eliss]

 Je suis accusé de tentative d’assassinat. C'est certain. LE patron a voulu se débarrasser de moi en me balançant à la milice.

 Je débarque d’un train au beau milieu d’un trou perdu. Un homme louche accompagné d’un chien mécanique me demande ce que je sais faire pour me rendre utile. « Vous n'avez pas vraiment le gabarit pour bûcher dans la forêt », nous lance l'homme au chien.  Je pense à Madeleine. « Du pain », c’est la première idée qui m’est venue. 

 « Allez aux cuisines, tous les 3 », nous indique l’homme sévère. Il me demande mon nom et je lui donne : « Laurent, appelez-moi Laurent ». 

 

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Gaspar et Philippe