Gaspar et Philippe
Par: Anonyme
« Les garçons, suivez moi! crie une femme par-dessus les bruits de la foule qui s’agite. Ah! Qu’est-ce que j’ai fait au destin pour me retrouver avec ces 3 enfants-là! Dépêchez-vous ! On ne va pas rester ici jusqu’à la fin de l’hiver! »
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Une foule d’enfants et de parents nains, gnomes, elfes, humains et plus encore commence à s’entasser sur les trottoirs. Aujourd’hui, c’est la grande parade annuelle de la garde. C’est le mois de Tymores, un mois froid et sombre qui mènera au solstice d’hiver. La chancellerie organise la parade depuis des dizaines d’années pour réchauffer le cœur des gens et pour donner l’occasion aux marchands d’illuminer la ville d’Alcar pour l’occasion. C’est une tradition que les chanceliers et chancelières perpétuent d’année en année.
Les chevaliers ont ciré leurs heaumes et leurs gantelets. Les chevaux sont brossés et tressés. Les soldats s’apprêtent à marcher au pas et affûtent leurs épées. Les officiers portent leurs beaux habits, leurs médailles et leurs gants blancs. Aujourd’hui, ils défileront par centaines.
La fanfare répète les marches militaires. Les trompettes, clairons, tambours et caisses de résonnance se font déjà entendre à plusieurs coins de rues du lieu de départ.
Le chancelier est lui aussi habillé de ses plus beaux habits et se prépare à monter dans son char tiré par quatre palefrois gris pommelés qui revêtent chacun leurs brides dorées. C’est le jour de la grande parade et ce sera lui le centre de l’attention.
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« Les enfants, restez sur le trottoir. Je veux que nous puissions garder nos places pour bien voir la parade. Julien, redonne son cheval et son petit soldat à ton petit frère. Tu sais qu’il pleure dès qu’il le perd. D’ailleurs, il pleure tout le temps. Qu’est-ce que j’ai fait à Laelith pour avoir un enfant aussi faible. Julien, lâche ton petit frère. Le petit veut devenir soldat. Il rêve d’être chevalier. Il se déguise en garde toute la journée… mais il n’est même pas capable de se défendre. »
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Le plus jeune des trois frères, Philippe, joue avec son petit soldat et son petit cheval de bois. Ce sont les jouets les plus chers à son cœur. Son soldat est peint aux couleurs de l’armée de Témister : le blason et les armoiries, tout concorde. Le cheval, quant à lui, représente un destrier bai clair, en armes et en armure. Ses jouets sont forts. Ils sont fiers. Ils sont puissants. Le benjamin voudrait tant être comme son chevalier : un héros.
Il rêve de chevaucher Éclair avec son armure brillante. Il combattrait des dragons et des brigands! « Merci, monseigneur Philippe, je vous suis pour toujours reconnaissant! Et le royaume tout entier vous doit respect! » lui disait le roi.
Il voudrait… mais il en est incapable. Son grand frère, celui du milieu, Julien, est toujours là pour le frapper et lui voler ses choses. Il devrait se défendre, mais il n’aime pas la violence. C’est pourquoi il subit. Il subit la violence, les insultes, les injures et les railleries de son frère Julien, de sa mère et même de son père. Il se réfugie dans son rêve. Le chevalier utilise son bouclier et attend que le feu du dragon s’éteigne. Il reçoit des coups des brigands de la forêt de Lumbé. Lorsque sa rêverie se termine, son petit corps est bleu, violet, jaune et, parfois, il saigne. Ce n’est pas grave, les seigneurs savent encaisser.
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« Et toi! T’es supposé être le grand frère. Regarde-moi quand je te parle. Agis comme l’aîné que tu es et surveille tes frères. »
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Gaspar s’excuse à sa mère, en bégayant légèrement, de ne pas avoir surveillé adéquatement ses frères. Il porte des vêtements propres, mais un peu trop petits. On peut imaginer qu’il a grandi trop vite. Il lui faudrait de nouveaux habits, mais sa famille n’est pas riche et toute la maisonnée doit faire des sacrifices.
Il aimerait bien commencer à parler aux filles, mais qui voudrait parler à un va-nu-pieds incapable de se vêtir. Il voudrait tant faire plaisir à ses parents. Il voudrait répondre aux attentes de sa mère, à ses exigences. Il souhaiterait éviter les moqueries et les humiliations publiques qu’elle lui fait subir.
« Gaspar, grand niaiseux! » disait-elle sans arrêt dans les rues du quartier. C’est difficile de se faire respecter, de s’affirmer quand on se fait traiter comme ça.
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Les soldats, la fanfare, les chars et le chancelier défilent. C’est festif, militaire et magnifique. Philippe, les yeux remplis de joie, regarde les soldats défiler, il rêve d’un jour être comme eux. Il voit les médailles et les décorations des chevaliers. Il s’imagine les campagnes et les exploits qu’ils ont dus réaliser pour les obtenir. Des héros en chair et en os défilent à quelques mètres de lui. C’est la plus belle journée de l’année.
Julien regarde les armes et les épées et rêve d’un jour les utiliser. Dans ses rêveries, il s’imagine manier une rapière avec force et dextérité. Il transperce ses ennemis par dizaines. Julien s’imagine piétiner les va-nu-pieds sur son grand destrier et empaler toutes les personnes qui lui barrent le chemin. C’est la plus belle journée de l’année.
Gaspar sent le vent frais sur ses chevilles, mais reste fasciné par la parade. Lorsqu’il voit le chancelier passer, il est émerveillé par sa prestance. Quel homme droit et fort! Il est impressionné qu’il puisse se tenir là, fier, devant tant de gens! Si c’était lui, il fonderait de gêne, lui, ce n’est qu’un grand niaiseux. Il aimerait tant avoir autant de confiance que le chancelier. C’est la plus belle journée de l’année.
Au bout de plus d’une heure de défilé, le dernier soldat quitte la rue principale.
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« Philippe, Julien, Gaspar, allez venez. La parade est passée. On rentre à la maison. »